Le site de Rougga ou Bararus à Sfax
Par Zaher Kammoun
Le site archéologique de Rougga se trouve à Sfax et à 13 km d’el Jem. Il a été identifié par Guérin au municipum Bararus. La ville était bâtie sur une rivière sèche que les Arabes appellent oued Rougga (il n’est qu’une simple translittération dialectale du mot « Raqqa » qui, en arabe littéraire, signifie « la terre que l’eau recouvre et qu’elle évacue ensuite »)
Ce site représente un vaste ensemble de ruines s’étalant sur plusieurs centaines d’hectares, vestiges d’une importante agglomération autour de laquelle étaient disséminés de nombreux hameaux et exploitations rurales. Il a été identifié depuis longtemps au Bararus municipium (ou Vararus) dans la table de Peutinger, on la place sur la route d’Usilla à Thysdrus, à 9 milles de cette cité. Ptolémée la nomme Gararus
Le toponyme n’est pas d’origine punique ni latine mais appartient bien au substrat libyco-berbère
Iulianus Vararitanus, un évêque de cette cité figure sur les listes de la province de Byzacène en 484
Des fouilles ont été faites dans les années 40 par M l’intendant militaire Guenier, il a été découvert un buste de 0,11 m d’hauteur représentant un homme âgé chauve pourvu d’une longue barbe et d’une forte moustache. Il porte un himation qui biaise sur la poitrine. Dans les déblais, il a découvert une lampe de bronze avec garde main et une plaque de marbre épigraphe portant cette inscription :
Imp. CAESARi divi marci antonini filio divi antonini
Pil NEPOTI DIVI HAI riani pronepoti divi traiani parthici abnepoti
DIVI nervae adnepoti l. aurelio commodo aug.
… ICO SARMATICO Brittanico maximo….
Il a fouillé aussi une maison ou il a trouvé une mosaïque représentant un amour pécheur et des poissons
Une mission franco Tunisienne de fouilles a été dirigée dans le site par Hedi Slim et M. Euzcnnat de 1971 à 1974. Elle a permis la découverte d’un trésor monétaire datant de la première attaque musulmane de 647
Les fouilles ont permis la découverte d’un arc de triomphe, d’un amphithéâtre, d’une basilique à cinq nefs, de deux grandes citernes dont une longue d’une trentaine de mètres. Elle est divisée en 7 nefs séparées par 6 rangées de piliers énormes supportant des arcades surbaissés
On a trouvé aussi les restes d’une escargotière de l’épipaléolithique ; des vestiges très dégradés d’un habitat néo-punique remontant aux 3ème -2ème siècles avant J.-C. ; des traces ténues d’une nécropole à incinérations de l’extrême fin du Ier siècle avant notre ère.
Le forum et les temples
II s’agit d’une vaste area installée sur une terrasse artificielle qui surplombe la rive gauche de l’oued.
Il est entouré par un mur qui délimite un espace rectangulaire de 85 m de longueur et de 56 m de largeur. Cette enceinte formait le fond d’un portique large de 7,40 m qui entourait la platea dont il réduisait les dimensions à 68 x 39 m.
Sur le côté ouest avaient été construits deux grands temples dont il ne reste que les fondations.
Le forum fut détruit au Bas-Empire, Les temples furent démolis, les colonnades renversées et le substrat du dallage presque partout mis à nu. Cet emplacement fut réoccupé à l’époque byzantine par un habitat
Les citernes
Deux citernes ont été découvertes dans le site :
La grande citerne
Appelée aussi le grand Damouss
Guenier dans les années 40, a découvert aussi une immense citerne très soigneusement construite aux voutes soutenues par des piliers de grand appareil. Un bassin de décantation auquel aboutissait une conduite pourvue de vannes conduisait à ce réservoir
Sur le site on voit une dépression circulaire, plus basse de deux mètres environ que le sol qui l’entoure, c’est une large plate-forme bétonnée et cimentée, recouverte maintenant de terre. Quelques trous, de distance en distance, permettent seuls de s’en rendre compte.
Au dessous, se trouve un grand bassin elliptique, dont les axes ont respectivement 40 m et 37,5 m. Sept longues voûtes parallèles et deux demi-voûtes forment la couverture de ce bassin
Sur l’extrados de ces voutes repose la plate-forme; soixante-douze piliers massifs, en belles pierres de taille de 1m 10 d’équarrissage soutiennent soixante-seize arcades surbaissées qui font communiquer ensemble ces neuf réservoirs voûtés en berceau, les voutes portant sur les piliers et les arcades; seuls, les murs du périmètre de l’ellipse sont revêtus de cimentation ; les piliers el les voutes n’avaient pas de revêtements. La hauteur des arcades au-dessus du sol actuel de cette citerne est de 1m 80 en moyenne, celle des grandes voûtes est de 5m
Ce bassin se compose de sept nefs en berceau d'une largeur de 3 m et d'une longueur variant de 13 à 44 m
Un canal, composé de deux branches courant côte à côte sous le sol, et long de 30 m, faisait communiquer ce réservoir avec un autre, plus petit, situé au nord.
Durancel a signalé la présence de marques d'ouvriers peintes à l'encre rouge sur la voûte des citernes
La petite citerne
Ce réservoir se trouve au nord, c’est une cuve circulaire, de 25 m de diamètre. Elle est constituée par des voûtes d'arête soutenues par vingt-cinq piliers, de 0m 80 d'équarrissage. Les piliers sont en pierres de taille et les voulus en matériaux moyens.
Ce bassin se trouve à un niveau supérieur à celui du grand réservoir et devait lui servir d'appareil de décantation
Les deux bassins pouvaient contenir 46.000 mètres cubes mais il faut admettre qu'ils n'ont jamais été remplis à plus de cinq mètres de hauteur (selon la trace des eaux)
Le réservoir à ciel ouvert
Sur la rive droite de l'oued, à sept cents mètres au sud-ouest de ces citernes, se trouve un autre réservoir d'un genre tout différent : celui ci, à ciel ouvert, présente la forme d'une ellipse de 62 m sur 50 m. Il a été construit dans une excavation faite à mi-pente. Une galerie voûtée forme, à la manière d'un anneau creux, le tour du bassin. On voit aussi murs. Le tout est bâti en pierres moyennes concassées.
Un canal, taillé dans le roc, semble avoir eu pour but d'amener les eaux de l'oued dans ce réservoir, dont la profondeur a dû dépasser 8m.
Le trésor de Rougga
Le vendredi 13 octobre 1972, au cours des fouilles de la campagne franco-tunisienne, les chercheurs ont mis à jour un trésor monétaire
C’est un trésor constitué de 268 monnaies d’or d’époque byzantine trouvé dans le site. Il fut caché par son propriétaire dans une petite cruche de terre cuite fermée par un opercule de céramique scellé au plâtre et enfoui dans une cachette aménagée à l’intérieur d’un édifice rasé aujourd’hui. Cette cruche était cachée lors de la première campagne musulmane (647 après J.C). Le trésor est composé de 268 solidi dont 194 constantinopolitains.
Les pièces se répartissent entre les quatre derniers empereurs byzantins: Maurice-Tibère (1 pièce), Phocas (83 pièces), Héraclius (121 pièces) et constant (36 pièces)
Cette trouvaille est exposée aujourd’hui au musée Mahdia.
Le théâtre
Guenier l’a fouillé dans les années 40, il a effectué quelques sondages. Le théâtre était médiocrement construit en petit appareil
L'arc municipal
Cet arc se trouve à l'arrivée de la route de Thysdrus (El Jem). Sa construction peut en être datée de la seconde moitié du IIe siècle, et sa destruction de la période vandale
Lors des fouilles, une rue a été reconnue aux abords immédiats de l'arc jusqu'à 14,65 m au sud des piles. Le dallage de la rue était en carreaux qui sont disposés en arêtes de poisson (opus spicatum)
L'arc comporte un passage unique large de 4,55/4,58 m. Le monument était monté avec un parement en grand appareil d'un grès dunaire en provenance des carrières d'Henchir Mzaouak, matériau de base utilisé dans la construction des grandes citernes et du forum.
La maison découverte en 1978
C’est une résidence de luxe découverte par M. Gilbert Hallier en 1978.
Les destructions subies par la maison ne permettent pas d'en situer les limites avec précision et d'en connaître tous les éléments : façade, entrée, cour principale…
Dans un premier état, la maison semble avoir été dotée d'un simple triclinium et, dans un second, on y a procédé à l'aménage ment d'un œcus de 120 m2 (11,15 x 10,65 m), de type plutôt égyptien que corinthien, selon l'architecte Gilbert Hallier
Le pavement de mosaique de l’oecus mesure plus de 58 m2 (6,70 x 8,65 m). Il a pour trame géométrique une composition assez complexe d'hexagones dressés, d'hexagones couchés et de croix cantonnées de paires de losanges déterminant douze carrés droits. Les croix sont fleuronnées ou tressées, les carrés et les hexagones sont ornés de motifs figurés et de fleurons et les losanges contiennent de plus petits losanges.
Le décor figuré se trouve au centre, il est composé de trois ensembles dont deux sont exclusivement consacrés au mythe d'Hélios et de Phaeton
L’amphithéâtre
L’amphithéâtre de Bararus est en partie entaillé dans une colline et en partie adossé à ses talus
La mosaïque d’Orphée
Orphée enchante les animaux sauvages en jouant de sa lyre. Cette grande mosaïque romaine, réalisée en 250 après. J.C. L’ensemble mesure 4,16 m sur 3,6 m.
- Mosaïque d’abside représentant des fleurs stylisées. Fin du 2ème siècle après J.C. Maison d’Orphée Rougga. Musée d’el Jem
Sources
- Vingt ans de recherches archéologiques sur l’antiquité tardive en Afrique du Nord 1975-1994. Deuxième chronique : supplément à généralités et Carthage- Tunisie. Noel Duval
- Tête de terre cuite provenant du Rougga, bulletin archéologique du comité des travaux historiques et scientifiques, 1946-1947-1948-1949
- Fouilles dans la région de Sfax, bulletin archéologique du comité des travaux historiques et scientifiques, 1946-1947-1948-1949
- Enquête sur les installations hydrauliques romaines en Tunisie, Paul gauckler
- L'arc municipal de Bararus municipium (Rougga, Tunisie), Roger Guéry, Gilbert Hallier
- Les citernes monumentales de Bararus (Henchir Rougga) en Byzacène, Gilbert Hallier
- Un trésor byzantin témoin du raid musulman de 647, Hédi Slim
- 25 siècles de monnaies tunisiennes de l’ANP
- Recherches archéologiques franco-tunisiennes à Rougga. III. Le trésor de monnaies d'or byzantines, avant-propos par Maurice Euzennat et Hédi Slim Roger Guéry, Cécile Morrisson, Hédi Slim
- Nouvelles observations sur la centuriation romaine à l'est d'El Jem, Pol Trousset
- Une inscription néopunique de Ziane et des marques d'ouvriers peintes sur des citernes de Rougga (Tunisie), Philippe Berger
- La chute de Phaeton sur une mosaïque de Barrarus-Rougga en Tunisie, Monsieur Hédi Slim
- Géographie de l’Afrique chrétienne, Byzacène et Tripolitaine, Monseigneur Toulotte
- Voyage archéologique dans la Régence de Tunis. T. 1, Guérin
- Exploration scientifique de la Tunisie, livre 2, géographie ancienne, Tissot
- Villes et structures urbaines de la province romaine d’Afrique, Ammar Mahjoubi