La maison d’Africa (une maison romaine reconstituée) à El Djem

Par Zaher Kammoun

Maison Africa

La maison Africa

La mosaïque de Rome et ses provinces d’el Jem

Les mosaïques de la maison d’Africa à el Jem

El Jem, le site et le musée

Thysdrus, une ville florissante 

Thysdrus était à son apogée, aux IIe et IIIe siècle après J.-C., l’une des plus florissantes cité du monde romain. Son essor était étroitement lié à la grande prospérité de la province d’Afrique où elle put occuper le second rang après la prestigieuse capitale, Carthage. Au cours de l’antiquité, comme de nos jours, elle était célébrer surtout par son immense amphithéâtre qui est l’un des plus grands et des mieux conservés parmi les édifices de spectacle. D’une capacité de 30.000 spectateurs, il se classe au troisième rang des monuments du genre, après le Colisée de Rome et l’amphithéâtre de Capoue, aujourd’hui très détruit. 

La parure monumentale de la cité était, d’autre part, riche de nombreux autres édifices publics et privés, avec notamment un cirque pour la course des chars et des chevaux aussi grand que le cirque de Maxence à Rome. Enfin son importance ne peut mieux apparaître qu’à travers le rôle historique de première grandeur qu’elle a joué en 238 lorsqu’elle a pris l’initiative, suivie par Carthage et Rome, de hisser Gordien, alors proconsul d’Afrique, à l’empire. Aussi n’y a -t-il rien d’étonnant à ce que le site archéologique de Thysdrus, qui couvre une superficie de 200 hectares environ, s’illustre continuelles les unes que les autres.

Rien que le domaine de l’architecture privée, il a livré tout au long d’un siècle de fouilles une trentaine de maisons plus ou moins bien conservées mais qui ont donné à la Tunisie l’une de ses plus riches collections de mosaïques. Répartie entre les musées du Bardo, d’El Jem et de Sousse notamment, ces mosaïque en constituent les plus beaux fleurons. Les vestiges de certaines des maisons d’où ont été extraits ces luxueux pavements ont pu être conservés et sont encore visibles sur le site.

Cependant la découverte la plus impressionnante dans ce domaine reste la maison dite d’Africa mise au jour au cours de la dernière décennie du XXe siècle, à la suite d’une tentative de construction illicite à la périphérique de la ville antique.

amphithéatre el jem قصر الجم

L'amphithéâtre d'el Jem

La maison d’Africa: une somptueuse demeure aristocratique

Maison Africa

Maison Africa

Tant par ses dimension exceptionnelles que par la particularité de certains de ses aménagements et surtout par l’incomparable éclat de son riche décor, la maison d’Africa est une des plus somptueuses demeures aristocratiques mises au jour dans le pays. Elle est en effet la plus vaste de toute l’Afrique romaine avec ses 3000 m2 dégagés jusque là. Elle est dotée d’une aile noble où le maître de maison recevait luxueusement sa clientèle de ses convives. Pour cela, il avait le choix entre la fraîcheur des prestigieux espaces formés par les quatre galeries pavées de mosaïque et agrémentées délégantes colonnes stuquées et peintes ou la douce chaleur d’un immense « triclinium »

Maison Africa

Une galerie de la maison

La salle à manger

Salon-salle à manger de 200 m2, dont le sol est orné d’une mosaïque au décor bien adapté à la fonction conviviale de la pièce : gibiers, poissons, fruits de mer et fruits de tout genre dont une étonnante coupe en verre remplie de cerises, autant de délices dont les hôtes se régalaient grâce à la générosité du maître des lieux.

Maison Africa

La salle à manger (Triclinium)

Le jardin 

De nombreuses pièces réservées au services ou à toutes sortes d’autres usages ouvraient sur les vastes galeries qui encadraient un grand jardin, situé un peu en contrebas et doté d’un magnifique bassin dont l’une des extrémités comportant un socle qui devait servir de base à une statue ou de support à une fontaine qui ne manquait pas de dispenser de la fraîcheur sous ce climat peu clément. Ce type d’aménagement est extrêmement rare – un seul autre exemple est jusque là connu mais plus simple – à Thysdrus à cause de la pénurie cruelle de l’eau.

Maison Africa

Le jardin

Les appartements

A côté de ce corps principal et prestigieux de la demeure où le maître de la maison tenait à afficher son image de marque, étaient aménagés des appartements privés , accessibles par une des galeries du péristyle, et qui formait un ensemble distinct où se déroulait la vie quotidienne de la famille, loin des regards étrangers et du vacarme de la rue.

Les chambres à coucher

De coquettes chambres à coucher constituaient un espace propice au repos. Les unes étaient un espace propice au repos. Les unes étaient simples et les autres d’apparat mais elles étaient dans presque tous les cas précédées d’antichambres destinées à préserver l’intimité des habitants. L’emplacement du lit était marqué par un décor simple, généralement un dessin géométrique, alors que la partie visible du sol portait des motifs figurés particulièrement élaborés.

Quant à la chambre d’apparat, elle comportait deux parties distinctes : la première sur levée d’une trentaine de centimètres, marquait l’emplacement du lit, la second, beaucoup plus vaste portait un luxueux pavement fait de plaques de marbre de différentes couleurs découpés savamment et disposées de manière à former un décor géométrique ou figuré.

Maison Africa

Autres pièces

Ce pavement a été en majeure partie détruit mais le seuil a conservé sa belle mosaïque représentant deux paons affrontés de part et d’autre d’un cratère d’où s’échappent des tiges de rosier fleuries. De petits salons intimes, dont un en forme d’exèdre, décorés avec beaucoup de recherche, servaient de refuge à ceux qui voulaient se livrer à la lecture, à la méditation ou à des conversations courantes.

La constitution 

   Cette impressionnantes demeure a été édifiée au cours de la seconde moitié du IIe siècle après J. C. (vers les années 170 environ ) et a duré jusqu’à la fin du IVe siècle, voire jusqu’au début du Ve.

Ses propriétaires étaient des gens très riches comme le montrent des fragments d’amphores qui ont servi à l’importation du garum (sorte de saumure avec suc de poissons divers) de Lusitaine (Portugal) et du vin des îles grecques alors que ces deux denrées étaient couramment produites dans la région même (Sallacta, Ksour-Essaf).

C’étaient aussi des gens hors du commun comme le prouvent la somptuosité et le caractère exceptionnel des mosaïques qui ornaient les sols de leur demeure.

Les mosaïques de la maison 

Les mosaïques de la maison d’Africa à el Jem

 La maison d’Africa occupe, certes, une place de choix dans l’architecture domestique africaine mais elle se détache surtout par la somptuosité du décor se ses sols. En effet ses mosaïques se distinguent autant par la richesse iconographique de leur ornementation que par le caractère tout à fait unique en son genre de certains de leurs motifs.

Deux de ces mosaïques sont uniques dans tout le répertoire africain et n’ont pratiquement pas d’équivalent dans le monde romain.

Ces deux mosaïque ont acquis une grande célébrité tant en Tunisie qu’à l’étranger où elles été présentées dans de grandes expositions notamment au Petit Palais à Paris (1994) et au Museo Nazionale di Castel Sant’Angelo à Rome (1997). A ces deux tableaux exceptionnels s’ajoutent d’autre d’une haute valeur documentaire et esthétique comme la mosaïque des «natures mortes» (poissons, gibiers, fruits) du «triclinium» déjà évoquée, celle de la fresque d’animaux bondissant d’une rare finesse d’exécution et qui paraît être une petite chambre à coucher ou encore celle de la splendide naissance de Venus, «à la Botticelli», la toute dernière découverte faite dans un petit salon en exèdre de l’appartement privé.

La mosaïque d’Africa 

La mosaïque d’Africa d’el Jem

La première constituait l’élément central du pavement d’un des petits figurent en buste les allégories des quatre saisons : le printemps a la tête ornée d’une guirlande marguerites qui remplacent les traditionnelles roses et constituent l’unique représentation du genre à ce jour ; l’été se distingue par son visage expressif et le port de quatre épis de blé dont deux verts et deux mûrs, l’automne par ses grappes de raisin, ses feuilles de vigne et son regard lointain ; l’hiver porte les classiques rameaux d’olivier, symbole de la principale richesse de la région. 

Maison Africa

Africa

Au milieu du panneau figure un personnage féminin au teint basané, au nez épaté et à la chevelure crépue revêtue d’une dépouille d’éléphant surmontée d’une trompe, attribut qui l’identifie à la déesse Africa, dispensatrice de richesse et de fertilité, objet d’un culte public et privé et dont l’importance a été soulignée par Pline : « en Afrique personne ne prend de résolution sans avoir au préalable invoqué Africa ». Son portrait était certes largement diffusé sur les monnaies, sculptures, céramiques, peintures etc…, mais c’est la première fois qu’il apparaît en mosaïque en Afrique.

Maison Africa

La mosaïque d'Africa

La mosaïque Rome et ses provinces 

 Ce tableau représente dans son médaillon central un personnage féminin assis sur un trône, coiffé d’un casque et tenant d’une main la sphère céleste et de l’autre une lance. L’attitude du personnage et ses attributs montrent qu’il s’agit d’une représentation de Rome en Athena Minerve casquée et armée. Autour de ce personnage central, apparaissent six figures féminines, dont trois en pied et trois en buste, qui sont des allégories de provinces. Grâce à leurs attributs, on peut identifier la plupart des ces provinces : l’Afrique, coiffé de la traditionnelle dépouille d’éléphant ; l’Egypte tenant le sistre, instrument de musique de la déesse Isis, l’Asie, portant une coiffure tourelée ; l’Espagne tenant un rameau d’olivier, symbole de son rôle de principal fournisseur de Rome en huile, fonction qui sera ravie par l’Afrique dés la fin du IIe siècle ; la Sicile représentée en Diane chasseresse et portant le « triskelis » (trois jambes réunies derrière la tête et évoquant les trois pointes de l’île) ; enfin une province dont les attributs, peu nets , n’en permettent pas d’identification. 

L’image de Rome associée aux personnifications des provinces est le symbole par excellence de l’empire romain dont on cherche à souligner l’étendue, l’unité, la puissance et la prospérité à des fins de propagande politique. En évoquant tous ces symboles, le propriétaire a sans doute voulu manifester par le décor de sa maison son attachement à l’Afrique et à l’empire.

Maison Africa

La mosaïque Rome et ses provinces

La mosaïque naissance de Venus

Cette mosaïque illustre la naissance de Venus « à la Botticelli » accompagnée de dauphins et de poissons 

Maison Africa

La mosaïque naissance de Venus

La mosaïque des animaux 

Maison Africa

La mosaïque des animaux

La reconstitution

Une découverte de l’importance de celle la maison d’Africa soulève de délicats problèmes de conservation et de mise en valeur. Le maintien en place des vestiges, solution généralement considérée comme la plus souhaitable, se heurtait ici à un certain nombre d’obstacles

Les obstacles

– Etat de ruine avancée de la maison notamment au niveau des murs, le plus souvent détruits ou arrachés, des colonnes et des chapiteaux, disparus à l’exception de très fragmentaires et rares témoins, et des plafonds dont seul celui d’un petit salon a laissé beaucoup d’éléments entassés sur place. En revanche, les mosaïques les plus importantes ont été retrouvées dans un excellent état de conservation.

– Coût de conservation des vestiges exorbitant, nécessitant un gardiennage spécial de jour et de nuit des interventions permanentes de consolidation et de restauration sans garantie, à la longue, d’éviter de sérieuses dégradations comme l’a montré l’expérience dans un autre quartier de la ville.

Maison Africa

– Inconvénient majeur d’un emplacement excentré et enclavé au milieu de constructions modernes inesthétiques et compliquant à l’infini les problèmes de gardiennage et de maintien des vestiges en bon état (dépôt d’ordure, vols, dégradations de toutes sortes etc…).
– Situation hors des circuits de visite habituels et accès difficile.

– Problèmes d’ expropriation particulièrement lourds et épineux. La seconde solution, souvent adoptée par ailleurs, aurait consisté à en lever les mosaïques et à les accrocher aux murs du musée, ce qui aurait exigé un nouvel agrandissement de celui – ci et aurait noyé des tableaux, dont on tenait à souligner le caractère exceptionnel, dans la masse des pavements existants, sans possibilité d’évocation significative du contexte d’origine.

La reconstitution

Face à de tels inconvénients, est née l’idée de reconstituer la Maison d’Africa dans un autre espace plus approprié à sa propre nature et à son caractère exceptionnel.

Pour amoindrir le coût du projet – sans rien enlever d’essentiel de la présentation de la maison – il a été décidé de ne reconstruire que les parties principales de la demeure, en l’occurrence l’aide noble amputée de quelques pièces de service qui sont simplement suggérées et les appartements privés sans quelques dépendances secondaires.

Toute les parties ornées de mosaïque figurent dans la reconstitution et le visiteur pourra ainsi, pour la première fois se promener dans l’ambiance d’une somptueuse demeure d’époque romaine en ayant une juste perception des espaces, des élévations et du décoder précis des sols avec des mosaïques remises dans un contexte tout à fait analogue à leur contexte d’origine alors que jusque là ce genre d’architecture n’était perçu qu’au travers de ruines peu parlantes avec des murs peu élevés, voire inexistants, des fragments épars de chapiteaux et de colonnes intéressantes étant destinées aux musées.

La maison d’aujourd’hui

Maison Africa

La maison Africa

Cette vaste demeure a été reconstituée dans un contexte hautement historique et à vocation didactique, là où ont été conservés les vestiges de plusieurs grandes maison du quartier sud-est de Thysdrus, bordées par une rue romaine en excellent état de conservation, à proximité immédiate du musée archéologique, donc dans un cadre suggérant u mieux l’aspect d’origine de la dite demeure. Une des vastes pièces accueillera un atelier permanent de formation de mosaïstes, de restauration de mosaïques et de confection de copies, ce qui introduira de l’animation dans cet espace étendu et intéressera au plus haut point les visiteurs, toujours assoiffés de savoir comment on faisait les mosaïques et comment elles étaient restaurées.

D’autres espaces serviront à la présentation didactique de l’architecture privée de Thysdrus à l’époque romaine et des techniques antiques de construction à l’aide de panneaux d’information et d’échantillons de matériaux anciens.
Cette « domus-musée » se présentera ainsi comme un espace d’information et de transition entre le musée actuel agrandi et réaménagé en musée de la vie quotidienne à Thysdrus et le quartier antique où les 500.000 visiteurs annuels pourrant compléter leur documentation par une promenade à l’intérieur des maisons romaines, l’ensemble formant un petit parc archéologique.

Maison Africa

Maison Africa

Ce projet s’inscrit dans le cadre du développement économique, social et culture de la région et du pays :
– En multipliant les atouts de la ville d’El Jem comme pôle touristique incontournable du pays.
– En favorisant la promotion d’un patrimoine culturel à vocation universelle.
– En renforçant le contact et la compréhension entre tunisiens et visiteurs étrangers.
– En assurant l’apprentissage et la formation aux techniques de la consolidation, de la restauration et la mise en valeur du patrimoine.

Source: 

  • La maison d’Africa à Thysdrus (el Jem), de la découverte à la reconstitution. AMVPPC

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