Carthage punique
Par Zaher Kammoun
La présence phénicienne en Tunisie est très ancienne dans l’histoire. Elle commençait par de petits comptoirs pour faciliter le travail de la flotte marchande et pour faire circuler les marchandises tout en connaissant que les phéniciens originaires de l’orient étaient des commerçants professionnels
Le commerce se faisait avec les autochtones de la Tunisie : les libyques obtenaient des tissus, des perles en pate de verre, de la poterie, des objets en métal, des armes, des bibelots… alors qu’ils vendaient aux phéniciens les peaux, du bois et de l’ivoire
La fondation de Carthage ou Qart Hadasht (la nouvelle ville), la capitale des puniques en Tunisie était plus ou moins énigmatique, elle est encore liée à la légende d’Elyssa-Didon
Didon fut installée à Carthage et fonda une nouvelle ville… plutôt un empire. Cette ville fondée en 814 avant J.C reste jusqu’à la destruction de la cité à 146 avant J.C pour laisser sa place aux romains
Carthage était une ville très développée, une ville cosmopolite où vivaient les Tyriens, les Sidoniens, les Aradiniens, les Chypriotes, les Egyptiens, les Grecs, les Etrusques et les Italiens. La société carthaginoise était divisée en citoyens, étrangers domiciliés, étrangers de passage et esclaves. Elle comptait au temps de sa splendeur de 200000 à 400000 habitants
Aujourd’hui le site de Carthage est classé dans la liste du patrimoine mondial UNESCO depuis 1979
Les édifices de Carthage punique
Les fouilles de Carthage ont donné de riches informations sur la ville punique. Plusieurs archéologues ont travaillé sur ce site comme Gauckler, Delattre, Merlin… Mais c’est surtout la campagne internationale de l’UNESCO entre 1972 et 1992 qui a sauvé le site
Aujourd’hui on peut voir des quartiers d’habitation, des sanctuaires, des ports, des nécropoles…
Le noyau primitif de la ville comprenait la zone du sanctuaire ‘’le Tophet de Salambo’’. Cette nouvelle fondation semble avoir formée un triangle dont la colline de Byrsa était le sommet et dont la base s’étendait de la baie du Kram jusqu’aux les hauteurs de Dermeche et de Douimès (environ 100 hectares de surface), on trouve ainsi le port, les habitations, les échoppes des commerçants, les ateliers et le sanctuaire de Baal
Les murailles
Les fouilles de Carthage ont montré la présence de fossés, de blocs de fondation, des traces de murailles et de portes
Cette muraille servait de première ligne de défense pour la ville de Carthage, elle avait une longueur de 32 km. Une muraille a été trouvée aussi au site de Kerkouane
L’équipe allemande qui a travaillé dans le cadre de la campagne de l’UNESCO, à découvert le long du rivage, des vestiges appartenant à l’enceinte punique qui datent de la fin du 6ème siècle et du début du 5ème siècle avant J.C. l’un des blocs de fondation pèse plus de 13 tonnes
Cette muraille était une œuvre colossale construite à l’aide des blocs quadrangulaires taillés dans le grès de Korbous ou d’el Haouaria
Les quartiers
Plusieurs quartiers ont été mis au jour à Carthage comme le quartier punique de Byrsa et le quartier de Magon fouillé par les allemands
Ces quartiers sont formés par des ilots d’habitations, d’ateliers et de rues. Le quartier possède un plan de damier et les rues se coupaient orthogonalement. Dans le quartier de Byrsa la rue peut avoir une largeur de 6,5 à 7 m alors qu’au quartier de Magon, les rues sont larges de 3 m. Les rues étaient rarement dallées mais plutôt faites en terre battue
- Le quartier de Magon
C’est un quartier d’habitations de l’époque punique (5ème siècle avant J.C), Il est construit selon un plan régulier et protégé de la mer par une enceinte fortifiée garnie de tours
Juste avant la destruction de Carthage 146 avant JC, ce quartier était composé de grandes maisons formées de deux étages au moins. Ces maisons étaient ornées en mosaïques et en stucs peints
Pendant l’époque romaine, la cadastration augustéenne reprendra le plan d’alignement conçu à l’époque punique
- Le quartier de Byrsa appelé aussi le quartier d’Hannibal
La colline de Byrsa : c’est le point culminant de Carthage. Elle porte deux noms : la colline de Byrsa et Byrsa est la peau de bœuf ou la colline de Saint Louis en souvenir du roi de France mort à Carthage en 1270 lors de sa dernière croisade. C’est sur cette colline que la légende dit que la princesse Elyssa ou Didon découpa une peau de bœuf pour délimiter sa nouvelle ville Carthage et c’est sur cette colline fut fondé le quartier de Byrsa
C’est un quartier d’habitation formé de plusieurs ilots d’habitations de 15,5m sur 31m et de rues. On peut voir aussi des commerces comme les boutiques et les meuneries. Certains auteurs anciens comme Appien, mentionnaient la présence d’immeubles de 6 étages dans ce quartier
Ce quartier fut aménagé pendant l’époque d’Hannibal (2ème siècle avant J.C). Il était dévasté pendant la troisième guerre punique en 146 avant J.C. On voit aujourd’hui les traces noirâtres sur les murs laissées par l’incendie allumé par les soldats romains lors de la fin de Carthage
L’architecture domestique
Les fouilles archéologiques ont donné plusieurs informations sur les demeures puniques à Carthage
Généralement, les habitations s’ouvrent sur la chaussée. Une fois le seuil franchi, on traverse un couloir ou un vestibule coudé qui mène vers un patio (le patio peut être doté de portique ou de péristyle) ou une cour de forme quadrangulaire. Autour du patio d’ordonnent les composantes de la demeure (les chambres, la cuisine, la salle d’eau…). Quelques maisons peuvent avoir un étage ou une chambre haute, on y accède par un escalier
Le sol des maisons est revêtu de pavement punique : un béton gris contenant des débris de poterie et des éclats de marbre blanc
On a trouvé plusieurs éléments d’architecture et d’ornementation : des chapiteaux, des colonnes, des marbres de différentes couleurs, des stucs moulurés et peints, des pavements polychromes…
Pour avoir de l’eau, les carthaginois creusaient des puits et des citernes et pour se débarrasser des eaux usées et des eaux de pluie, les habitants installaient un système d’évacuation composé de gargouilles, d’égouttoirs, des conduites, de rigoles, des égouts et des puits perdus
Les ateliers
Les fouilles de Carthage ont montré la présence de fours de potiers à Dermeche, des forges à Byrsa, un atelier de verrier à Dermeche. Dans le quartier de Byrsa on a identifié une meunerie, la meule rotative est encore in situ
Les ports
Polybe, Strabon mentionnaient la présence de ports à Carthage
Les fouilles ont dégagé aujourd’hui deux bassins creusés à l’intérieur des terres.
- L’un quadrangulaire pour le commerce de surface de 7 ha
- L’autre circulaire, militaire et pouvait contenir 200 navires
Au centre du port militaire se trouve l’amirauté qui est le pavillon de l’amiral qui surveillait les mouvements de la flotte
Un chenal faisait communiquer ces deux ports entre eux. On a trouvé les vestiges des cales sèches qui servaient au radoub et à l’hivernage des navires
Les sanctuaires
Les auteurs anciens mentionnaient que l’espace sacré carthaginois était composé de temples et de sanctuaires consacrés au culte des divinités surtout Tanit et Baal Hamon. Mais aussi ils mentionnent des temples consacrés à Junon, Chronos, Apollon, Esculape… noms latins et grecs attribués à des divinités puniques et un temple pour Eshmoun
Les fouilles de 1916, ont permis la découverte d’un temple à l’emplacement de la petite gare de Salambo. En 1917, on a trouvé un autre temple aux environs de Sidi Bousaid
- Le Tophet de Salambo
C’est un espace sacré au ciel ouvert, où les carthaginois offraient des sacrifices en l’honneur des deux divinités : Tanit et Baal Hamon et érigeaient des stèles commémoratives. Ce sanctuaire a été trouvé en 1921, les fouilles ont donné des milliers d’urnes funéraires contenant des cendres de jeunes enfants et d’animaux. Ces urnes sont enterrées sur plusieurs niveaux. Au dessus de ces urnes se trouvent des stèles votives portant des inscriptions
Autre que les stèles et les urnes, on a trouvé des amulettes, des bijoux, des masques, des statuettes en terre cuite…
Les édifices publics
Les fouilles n’ont pas encore donné des traces d’édifices publics, mais les textes mentionnent la présence d’un forum ou agora, d’un Sénat et d’une curie
La nécropole
Plusieurs tombes et caveaux funéraires ont été trouvés à Carthage. Ainsi, on a pu délimiter la cité des morts. Plus de 3500 tombes ont été étudiées sur les collines de Byrsa, de Junon, de Dermèche, de Douimès, de l’Odéon et de Saint Monique mais aussi à Ard el Khraieb, Bou Mnigel et Dahar el Morali
Les sépultures étaient ou bien des fosses simples ou bâties ou des puits à chambres latérales dont la profondeur peut atteindre les 30 m. Pour y accéder on a créé des échelons dans les deux petites parois opposées. On peut avoir une seule chambre funéraire ou plusieurs chambres étagées ou opposées. Dans la chambre on peut voir des auges, des niches, des banquettes. Dans la tombe, le mort pouvait disposer d’un cercueil en bois ou d’un sarcophage en marbre
Des stèles, des statues acrolithiques ou des monuments plus spectaculaires peuvent être des repères pour les tombes
Les carthaginois essayaient d’honorer les morts, ainsi les tombes ont fourni du mobilier funéraire très riche : de la poterie, de la céramique, d’importation, des figurines, des empreintes et reliefs de terre cuite, des bijoux, des scarabées, des monnaies, des amulettes, des objets en os et en ivoire, des masques… mais aussi des stèles, des saprophages et des ossuaires
Le jeune homme de Byrsa
En 1994, une découverte fortuite sur la colline de Byrsa, nous mettait en présence d’une tombe contenant un squelette d’un jeune carthaginois qui a vécu au 6ème siècle avant J.C
La tombe
La tombe D1, a été fouillée du premier au 14 Juillet 1994. Elle est formée d’un puits de 4,45m de profondeur et de la chambre funéraire de 2,32m de longueur, 1,78m de largeur et 1,46m d’hauteur au dessus des auges funéraires. L’ouverture est large de 0,85m. Elle est construite en blocs de grès d’el Haouaria.
Deux auges funéraires disposées longitudinalement occupent entièrement le sol de la chambre. Elles sont creusées dans deux blocs de grès et recouvertes chacune par deux dalles du même matériau. L’auge gauche longue de 1,9m, large de 0,49m et profonde d’une cinquantaine de cm contenait le squelette. L’auge droite était vide
Le squelette
Le jeune homme de Byrsa était étendu sur le dos, la tête tournée vers la droite et les bras le long du corps. Les avant-bras sont légèrement fléchis de sorte que les mains reposaient sur le bassin
Le squelette était d’un homme d’une vingtaine d’années (19/24 ans), robuste mesurant 1,7m environ. La chercheuse américaine Madame Karen Ramey qui a étudié le squelette le rattache à la race hispanique. Il portait à l’épaule droite les traces d’un traumatisme osseux remontant à l’enfance et une forte carie affectait une de ses dents
Les techniques de dermoplasite, ont permis la reconstitution du jeune homme de Byrsa
Le mobilier funéraire
La tombe D1 a fourni un mobilier funéraire riche constitué de :
- Une amphore commerciale punique pansue
- Une lampe punique achrome à deux becs pincés, elle porte des traces d’utilisation
- Une assiette ornée de filets concentriques violacés
- Dix petits cabochons bombés en ivoire
- Une amphore plus élancée
- 120 fragments osseux d’une oie
- Un scarabée intaille en calcédoine incolore, translucide et un peu laiteuse, portant sur une face l’image en relief de l’insecte et sur l’autre face dans un ovale de denticules un personnage finement gravé de style grec, un homme nu en course agenouillé tenant à la main droite une longue tige de lotus s’incurvant au dessus de sa tête pour se terminer devant son visage par un bouton floral vers lequel il porte la main gauche
- 21 amulettes égyptisantes en pate de verre blanchâtre ayant constitué probablement une sorte de chapelet : une amulette présente l’ouadj, cinq amulettes en forme de l’œil oudjat, cinq uraei dressés, quatre Ptah-Patèque dont deux exemplaires portent au dos la représentation d’Isis debout, un lion couché, un bélier et un taureau
- Une pyxide (boite) avec sn couvercle en ivoire tourné, ornée de deux séries de fines cannelures horizontales
- Des morceaux d’un tissu incolore à tissage lâche
Le tamisage a permis la découverte d’un fil en alliage, les restes probables d’un scarabée en pate de verre blanche, un grumeau d’ocre(vermillon) rappelant la coutume du rouge funéraire, quelques pierres ayant servi à caler la dalle de fermeture de la tombe et un morceau de lave travaillé semble être un fragment d’une meule à grain circulaire
Ce mobilier a permis aux spécialistes de dater la tombe de la fin du 6ème siècle avant J.C ou des environs de 500 avant J.C
Sources
- Carthage, les lettres et les arts, M’hamed Hassine Fantar
- Ecritures en Méditerranée, Alif
- Promenade archéologique à Carthage AMVPPC
- Carthage, histoire, monuments, art. Miniguide de Carthage
- Carthage, la cité punique, M’hamed Hassine Fantar
- Le jeune homme de Byrsa à Carthage, exposition au musée national de Carthage Octobre 2010-Mars 2011
- Histoire de l’architecture en Tunisie, Leila Ammar
- Les cahiers de science et vie, les 100 plus grands trésors de l’antiquité
- L’histoire, les collections, de Carthage à Tunis, 3000 ans d’exception
- Historia, civilisations, de Hannibal à la révolution, une histoire de la Tunisie
- Historia, numéro 723
- Qantara, numéro 65
- Les cahiers de science et vie, Carthage la cité qui fit trembler Rome
- La civilisation punique, histoire et archéologie, les dossiers, n° 69
- Les sacrifices d'enfants à Carthage, histoire et archéologie, les dossiers, n° 69
- الحرف و الصورة في عالم قرطاج, محمد حسين فنطر
- المتحف الوطني بباردو, الوكالة القومية للتراث, الحبيب بن يونس
- متحف قرطاج, الوكالة القومية للتراث, عبد الجيد النابلي